Valoriser les compétences de chacun
Pour lui, beaucoup de personnes dans le cadre de leur travail, pouvaient apporter des avancées déterminantes pour l’avenir de leur pays. Attentif aux richesses potentielles de chacun, il consacre du temps à former, orienter, conseiller, promouvoir ceux chez qui il décèle des talents et de la volonté.
En 1970, Ishac, directeur des mines recrute Abdel Kader Saleh premier mauritanien diplômé en géologie. Il lui confie une mission de codirection d’un projet de prospection financé par la Banque mondiale (cadastre au 200 000ème de la dorsale minière, avec Robert Giraudon comme chef de mission). En 1973-1974, Ishac est invité à venir visiter le chantier et, devant les résultats spectaculaires, lui dit « Vos résultats me félicitent de vous avoir recruté. ». N’Gaide Lamine Kayou affirme : « Je n’aurais jamais pu faire ce que j’ai fait sans Ishac. Ce que j’ai fait, je l’ai fait grâce au “doyen”. ».
Lorsqu’Ishac le rencontre dans l’antichambre d’un dirigeant de la SNIM, Ousmane Kane occupait des fonctions sans rapports avec sa formation. Ishac lie immédiatement contact et l’interroge sur son travail à la SNIM et sur ses diplômes : Ousmane Kane est polytechnicien et ingénieur des mines de Saint Étienne. Kane sera embauché à la SAMIN (Société arabe des mines de l’Inchiri) à Akjoujt, comme directeur technique. Ousmane Kane a été par la suite Vice-Président de la Banque africaine de développement, Chargé de Mission auprès du Chef de l’État, Gouverneur de la Banque Centrale de Mauritanie, Administrateur Directeur Général de la SNIM, et Ministre des finances en 2009. En Août 2020, il est nommé Ministre des Affaires économiques et de la Promotion des secteurs productifs.
Ishac s’appuie sur les compétences de toutes natures de ses contacts, échangeant le plus possible avec eux et sollicitant leurs avis. En 2001, Ishac vient d’apprendre la découverte d’un premier champ de pétrole (offshore, à 70 km des côtes, il sera dénommé « Chinguetti »). Il faut réfléchir, très vite à la meilleure manière de formuler l’annonce. Ishac appelle, séance tenante, Taleb Abdi Vall – qui deviendra plus tard directeur de la SOMELEC et ministre du pétrole, de l’énergie et des mines – qu’il a souvent invité à Tenwich pour discuter stratégie minière, et lui demande conseil.
S’adapter aux réalités
Le fonctionnement des entreprises et institutions internationales, comme celui des dirigeants d’un pays, ne répondent pas toujours à des schémas explicites et cohérents dans le respect de valeurs partagées. On peut le déplorer et chercher à en redresser le cours ou, si l’on est pragmatique et dans les limites de son éthique, en utiliser les mécanismes au mieux de ses finalités, après en avoir analysé les systèmes. À vrai dire, sauf à s’identifier à Don Quichotte, un homme d’État n’a que peu de choix. Ishac a su agir en tenant compte au mieux de ces réalités tout en conciliant une intégrité constante avec une capacité d’adaptation remarquable.
Dès le début de sa carrière, alors jeune et premier mauritanien à occuper un poste de directeur des Mines qui était, jusqu’alors, réservé à des fonctionnaires français, il a occupé ce poste avec efficacité en déjouant les blocages. Pour y parvenir, ayant éprouvé la difficulté de faire travailler les gens ensemble dans les administrations comme dans les entreprises, et considérant que cela peut être lié à la culture nomade, individualiste, il a l’idée d’utiliser le sport pour faire émerger des personnalités capables de fédérer les énergies et choisit le tennis plutôt qu’un sport plus populaire mais collectif comme le football.
Faisant preuve d’imagination et d’audace en s’appuyant sur une compréhension fine des méthodes des compagnies pétrolières qui investissaient dans la recherche depuis 1971, il réagit de façon particulière en 1974 à une proposition de commission que lui fait l’une d’entre elles : après en avoir discuté avec ses collaborateurs et avec les services des douanes, il décide d’accepter la commission à condition qu’elle soit versée au Trésor public, donnant ainsi un signal aux autres compagnies, attirées par l’intérêt d’un concurrent, et finançant au passage la construction du bâtiment du ministère du budget.
Avec N’Gaide Lamine Kayou, alors Ministre des mines, il répond à un appel à projet de la Banque mondiale pour financer l’établissement de cartes géologiques. Les négociations avec Peter Vandeman, responsable des mines à la Banque mondiale, permettent de dégager un budget de 750 000 € à condition que la Mauritanie en prenne 10% à sa charge, trop lourde charge dans le budget de l’État qui ne semble pas pouvoir mobiliser ces fonds. Qu’à cela ne tienne : en attendant l’arbitrage présidentiel, N’Gaide Lamine Kayou et Ishac proposent d’amputer de 95% le budget du parc automobile du ministère et en plaidant auprès du Président Maaouyia pour faire valider l’arbitrage. N’Gaide Lamine Kayou rapporte : « J’étais prêt à renoncer à tous mes moyens de fonctionnement, à ma voiture… Je vais en parler au colonel Ahmed Ould Minnih, ancien secrétaire général de la présidence. Le lendemain, ma fille me passe le téléphone : « Papa, c’est Maaouyia » Le dossier était accepté. ».
Savoir qui décide de quoi et comment est une recherche de tous les instants : en se rendant à une conférence de la MIGA (Agence multilatérale de garantie des investissements, institution de la Banque mondiale pour favoriser les investissements privés dans les pays en développement) en mai 1995, c’était le moment des élections en France et Ishac, dès la descente de l’avion, s’est tout de suite informé pour savoir qui avait été élu (en l’occurrence Jacques Chirac) pour être parfaitement au courant et rechercher les bons interlocuteurs.
Changer de tactique pour ne pas renoncer à un objectif
Quand ses premières démarches n’aboutissent pas dans un délai raisonnable, Ishac en tire les conséquences et modifie la tactique quitte à prendre des détours et à faire preuve de patience pour atteindre ses objectifs. Sa longue marche pour valoriser les ressources minières en est un bon exemple.
Quand, au début des années 2000, Ishac réunit dans le bureau du Président un groupe d’hommes d’affaires et d’industriels mauritaniens parmi les plus importants pour qu’ils investissent dans la prospection géologique, (Pétrole, Cuivre, Or et Diamant), tous objectent : “Qui va payer ? Et si l’on creuse et qu’il n’y a rien ?“. En particulier, il n’arrive pas à intéresser la SNIM aux mines d’or. Sur la mine d’or, personne ne le suit considérant qu’il faut détecter à coup sûr des indices par satellite et que dans ce cas, tout le monde serait au courant. Ishac ne se décourage pas ; il prend son bâton de pèlerin pour aller trouver de par le monde d’autres industriels intéressés, parvenant peu à peu à conclure des accords avec plusieurs pays : USA, Japon, Canada, Australie, …
Mais avant de faire appel aux grandes compagnies, il commence par créer un service d’État, l’OMRG, cet office public de recherche géologique qu’il avait imaginé dès son retour à Nouakchott en 1969. A partir de ses travaux, avec l’aide de l’ambassade de France, du FED, et de la Banque Mondiale, il initie une activité de prospection stratégique et de recherche d’indices, notamment dans l’or, le pétrole, le diamant et l’uranium. C’est la mise en valeur et la publication des indices qui ont permis d’attirer les grandes compagnies.
Sa manière de trouver une opportunité pour contourner une difficulté impossible à résoudre par une action frontale est bien illustrée par la démarche qu’il adopte en 1973 pour obtenir la construction de douches pour les ouvriers à Zouerate, profitant de l’annonce de la visite du Président Senghor pour obliger la MIFERMA à mettre les installations aux normes.
Rechercher inlassablement des partenaires efficaces
Ses collaborateurs se souviennent de l’énergie physique déployée par Ishac pour rencontrer beaucoup de personnes et récolter le plus d’adresses possible lors de ses déplacements à l’étranger. Deux ou trois sociétés étaient intéressées par le pétrole en Mauritanie.
Il profitait des conférences de la MIGA pour rechercher tous ceux qui accepteraient de venir en Mauritanie, quitte à sacrifier des réunions. Il fallait valoriser le potentiel minier et faire le plus de rencontres possibles. Ishac utilisait sa bonne connaissance de la France, de l’Australie, de Londres, … et cultivait son anglais.
Lors de son second mandat de ministre, il s’était mis en tête de chercher, tous azimuts, de nouvelles ressources pour le pays : Pétrole, Cuivre, Or, Uranium et Diamant. Il fallait donc trouver des partenaires pour la recherche et le développement. Au fil d’un très grand nombre de contacts directs et indirects, il rencontre la société Normandie-La Source puis, Max De Vietri et Ted Ellyard d’ Hardman Resources, qu’il identifie très vite comme des partenaires dynamiques et qu’il parvient à convaincre. Finalement, après de nombreuses rencontres, De Vietri et Ellyard finissent par mobiliser des moyens suffisants et, les premiers, trouvent du pétrole en Mauritanie.
Face à l’obstacle, on travaille et on ne perd pas de temps.
Tenir compte des attentes critiques des partenaires
Attentif aux besoins et aux habitudes des partenaires qu’il recherche, il identifie des points-clés : données géologiques complètes et rigoureuses, indices significatifs vérifiés, garanties juridiques et fiscales solides pour les contractants. Ishac choisit donc d’établir des cartes et de mettre en place une législation rigoureuse et claire qui s’applique à tout le monde. C’est sa mise en place de la législation minière qui a donné confiance aux entreprises étrangères.
Les industriels étrangers n’ayant plus peur de s’engager, ce cadre juridique a débouché sur 13 ou 14 permis d’exploitation.
La Mauritanie n’a pas de carte géologique. Ishac convainc la Banque mondiale de financer l’établissement de cartes géologiques au 1/200 000 e. Seuls existaient les relevés de 1958, réalisés par André Blanchot et Jean-Paul Spindler du BRGM ; de nouvelles cartes devenaient indispensables pour attirer les investisseurs étrangers.
Ishac recherche systématiquement des indices qu’il met à la disposition des partenaires potentiels. Pour assurer la qualité des données et des indices, Ishac tient absolument à ce que les prospecteurs travaillent dans de bonnes conditions. Ainsi, un soir à 23h, a-t-il convoqué ses collaborateurs de l’OMRG pour qu’ils aillent au-devant de Gilbert Maurin tombé en panne dans le désert.
S’appuyer sur la manière dont ses interlocuteurs évaluent leurs choix lui sert à trouver des arguments efficaces. Etienne Wilhelm qui fut Directeur régional de LaSource Développement SAS et ancien géologue du BRGM dit qu’il n’oublierait jamais l’énergie déployée par Ishac, pourtant malade, au cours d’un dîner chez lui à Paris en décembre 1989 pour convaincre les représentants du FED : « Nous n’avons pas besoin d’argent, nous avons seulement besoin de rapports et de cartes… et, en plus, nous pouvons apporter une contrepartie estimée à 20% du projet en prenant charge les équipes d’experts sur le terrain. ».
De tous les témoignages que nous avons recueillis et des documents que nous avons consultés se dégagent quelques principes qui ont visiblement conduit l’action d’Ishac au cours de sa carrière et de sa vie en général. Pour parvenir à ses fins dans le contexte technique, économique, social, diplomatique, politique et historique très complexe d’un état en construction puis d’une succession de prises de pouvoir et du développement de la mondialisation, Ishac s’est appuyé sur des principes simples dont la combinaison construit des stratégies qui, avec le temps, lui ont permis d’aboutir, notamment pour optimiser l’exploitation des ressources minérales au profit de la Mauritanie.