Pragmatisme et opiniâtreté
Ishac, est décrit comme quelqu’un de motivé et de travailleur dont l’objectif prioritaire est de trouver des solutions aux problèmes qu’il rencontre ou qu’on lui soumet : « Quelqu’un d’utile et qui veut donner du sens à ce qu’il fait » « En fait nous étions tous très spécialisés, tandis qu’Ishac avait une vision large des problèmes et quelques idées fortes auxquelles il tenait, un peu à contre-courant » « Il s’est donné un peu trop, il voulait toujours faire plus ».
Au début, les prospections (pétrole et or) n’ont rien donné, mais cela n’a jamais découragé Ishac. « Ce n’est pas parce que les “majors” américaines du pétrole ont dit qu’il n’y avait rien qu’il faut en rester là » affirmait-il, et la suite lui a donné raison. De même pour l’or, il était convaincu d’une structure géologique favorable, même si aucune trace n’avait encore été trouvée. Certains se souviennent que, pour diffuser largement son message, il apparaît une fois à la télévision, frappant la roche avec un marteau de géologue et disant aux mauritaniens « Vous voyez, ça, c’est de l’or ».
Optimisme, courage physique et flegme quasi britannique l’incitent à ne pas relâcher ses efforts dans la durée. Cette opiniâtreté exigeait évidemment beaucoup de temps et d’énergie ; son épouse Mariem était alors pour lui un soutien remarquable. Sidi Ould Cheikh Abdallahi a beaucoup de considération pour Mariem, car elle lui a permis de consacrer beaucoup de temps à son travail et à son pays. Mohamed Yahya rend également un hommage appuyé à Mariem : pour faire avancer ses projets, Ishac passait beaucoup de temps sur le terrain ; « Il avait fait le bon choix, quand il rentrait, c’était toujours la fête ! »
Enfin, une vision réaliste des faits, des comportements et des mécanismes politiques, sociaux, économiques et financiers lui paraissait indispensable pour anticiper les conséquences d’une décision ou d’une action. Il considérait le monde tel qu’il est en s’appuyant sur ses réalités pour mieux les faire évoluer.
Rigueur scientifique et recherche inlassable de l’information pertinente
La formation scientifique d’Ishac a développé chez lui une exigence de rigueur, que ce soit en matière de connaissance, dans l’organisation ou dans les processus de décision. Son caractère a fait de la rigueur une nécessité.
L’énergie qu’il a consacrée à la précision et à l’exactitude de la recherche géologique, son travail pour établir des règles cohérentes et solides fondant la réglementation minière, sont de bons exemples.
Ishac, compétent, méticuleux, rigoureux, très scientifique se posait continuellement des questions et partait à la recherche de réponses – en contact direct avec la réalité et auprès de personnes de terrain – qu’il examinait avec beaucoup de sens critique. Des ouvriers de la MIFERMA racontent qu’Ishac, en stage étudiant, était parti dans la montagne, une semaine avec un sac, de l’eau et des biscuits. Ishac a beaucoup marché dans le désert. Abdallahi Sidya Ebnou se souvient qu’en 1973, Ishac lui a rendu visite après avoir traversé à pied le secteur minier de Zouerate à F’Derick (39 km), préoccupé de la pérennité des ressources minières de la Kédia d’Idjill en utilisant l’enrichissement des minerais pauvres.
L’OMRG a commencé ses campagnes de recherche avec l’appui du BRGM et Ishac tenait beaucoup à ce que les assistants soient présents sur le terrain. En permanence, il donne le même conseil : apprendre, il faut toujours apprendre.
Plus technique que politique, Ishac s’intéressait à tout : au fer, sur la dorsale R’Gueïbat, aux indices de Kimberlite (annonçant une possibilité de diamant), à la présence de phosphate à Bofal et aux indices de cuivre sur le site de Boute au sud de la Mauritanie, à la frontière malienne entre Keidi et Sélibabi. Tous ces éléments qu’il avait exploités dans les archives du BRGM ont donné du poids au discours tenu par le président en novembre 1970 à l’occasion du 10ème anniversaire de l’Indépendance.
Mohamed Taya, Directeur exécutif de la BAMIS, situe le rôle d’Ishac : « Ici la politique ce n’est pas facile. Face à une situation économique difficile, on a cherché des compétences qui n’étaient pas hostiles au gouvernement et qui étaient capables de mettre en place des solutions techniques » Ishac était particulièrement fiable pour mener à bien de telles missions.
Intégrité et souci de l’intérêt général
Dans l’administration, Ishac était connu pour ses réformes et pour sa rigueur de gestion. C’était un véritable serviteur de l’État, une personnalités du pays faisant preuve d’un comportement irréprochable, honnête dans son travail et dans ses relations. Il s’est donné entièrement à son poste.
Sa simplicité de vie matérielle tout au long de sa carrière a été remarquée par tous ceux qui l’ont fréquenté. Jean Haug, un de ses camarades de promotion, se souvient d’être allé chez lui en 1971, lorsqu’il était directeur des mines : « Sa maison était spacieuse mais l’aménagement austère trahissait l’homme du désert : pièces quasi vides, des planches posées sur des moellons, le long des murs pour ranger les livres, une tente dans le jardin… Son accueil était simple et gentil. » Cette simplicité a frappé tous ceux qui l’ont approché : « la simplicité et la frugalité d’un homme de qualité, natif d’une cité entourée et menacée par le sable. »
De 1990 à 1995, il habitait à Nouakchott avec sa famille dans une petite maison de deux pièces et un studio. Mariem et lui y ont reçu trois ou quatre ambassadeurs dont celui des États-Unis. Le quartier était ébahi. Même l’ambassadeur de Chine, qui n’habitait pas loin, avait fait porter chez eux un demi-mouton pour la fête de Tabaski, en souvenir de leur bonne collaboration au moment de la construction du port de Nouakchott en eau profonde.
Sa répartie du printemps 1974 où, Directeur des Mines, il accepte la commission d’un million de dollars que lui propose le négociateur d’une société pétrolière… à condition qu’elle soit versée au Trésor public, est restée dans les mémoires. Ce réflexe inattendu, bien accepté par les pétroliers, a d’ailleurs permis la construction d’un bâtiment du ministère du budget. Plus tard, en 1976, une société japonaise lui adresse deux montres Omega en or (homme et femme), Ishac les retourne à l’expéditeur.
La corruption lui était à ce point étrangère que, lors d’un voyage au Zaïre, un compagnon de voyage a dû lui faire remarquer qu’Ishac avait « oublié » de placer un billet dans son passeport avant de passer les contrôles de police.
Ishac n’a jamais utilisé les moyens mis à sa disposition par l’État pour son confort personnel, celui de sa famille ou pour servir une carrière politique personnelle. « Il était extrêmement honnête sur le plan matériel et il a donné tout ce qu’il pouvait. » disait le Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Charles Huijbregts, un camarade de Nancy qui a été en rapport professionnel avec lui pour le développement du site de Tasiast comme il l’a été avec de nombreux responsables africains dans l’activité minière, écrit : « Je ne pense pas qu’il y ait dans le monde beaucoup de hauts serviteurs de l’état, comme Ishac, qui aient ses qualités d’intégrité et de total dévouement à leur pays. »
Quand Ishac n’a plus été ministre, en 2001, il a réuni ses frères et leur a déclaré : « C’est vrai que lorsque j’étais ministre, je ne vous ai pas apporté d’argent facile, mais il est aussi vrai qu’aucun d’entre vous n’aura de problème parce que je ne suis plus ministre ».
L’intérêt du pays et de ses habitants a toujours été un critère primordial dans les choix d’Ishac. Tous les témoignages concordent sur ce point : Moulay Abass, Président de la BMCI, dit partager avec Ishac une véritable émotion, un véritable amour du pays, « c’est notre ADN ».
Discrétion et générosité
Décrit par tous comme discret et modeste, les qualités opérationnelles et la simplicité d’Ishac sont unanimement appréciées ; persuadé qu’on apprenait beaucoup des autres, il abordait chacun avec un respect sincère. « Il était très doux. Très humble. Ne voulait pas déranger. » Au point de ne jamais se plaindre. Israël Sztejnhorn qui passa beaucoup de temps avec lui lors de ses études à Nancy, dit : « C’est avec un peu de surprise que j’ai appris lors de notre visite en Mauritanie que Ishac n’a jamais été aussi malheureux qu’à Nancy. Jamais je ne l’ai entendu se plaindre et jamais il ne laissait transparaitre ses sentiments. » Son cousin Ahmed Ould Abdellahi ajoute : « C’est une personne qui ne veut jamais montrer qu’il a des soucis. Tout le monde a des problèmes, mais lui on ne le voit pas sur son visage. »
Taleb Abdi Vall, lui, a été marqué par l’humilité d’Ishac : “Il vivait modestement, notait tout, au Bic, sur un simple carnet. Il savait mettre à l’aise ses collaborateurs pour leur permettre de donner le maximum et placer chacun en position de s’exprimer”.
À Marrakech, à la MIGA, en 1998 N’Gaide Lamine Kayou (alors Ministre des mines en exercice) apprend qu’Ishac est nommé pour un second mandat Ministre des mines et de l’industrie et que lui, N’Gaide Lamine Kayou, sera Ministre de l’équipement. Il en informe Ishac qui tient pourtant à rester à la table des directeurs de ministères jusqu’à la fin de la conférence et ne pas faire état de sa nomination : « Ce n’est pas le moment de déranger le protocole » s’est-il contenté d’affirmer pendant la fantasia organisée par les marocains.
Très généreux, fidèle en amitié, sa philosophie était d’abord d’agir mais aussi, de le faire en toute discrétion. Plusieurs témoins insistent sur la modestie, voire l’humilité, avec laquelle il accomplissait des tâches considérables pour le pays : « Nous ne mesurons pas à sa juste valeur l’apport d’Ishac à la construction du pays. Ishac a accompli une œuvre exceptionnelle mais c’était quelqu’un qui vivait simplement, sans problème. » « Tout ce qui se fait aujourd’hui en Mauritanie dans le domaine minier, on le lui doit » dit Mohamed Salek Heyine. D’autres témoins ajoutent : « Tout ce qu’Ishac a fait est fondateur, en se faisant discret et en faisant du bon travail. Modeste, il ne se vantait pas » « Un type très bien, un peu méconnu, dont vous avez compris la particularité et la valeur » « Une âme généreuse. Toujours discret dans ce qu’il faisait. ».
Ishac n’était pas un homme très public ni très médiatique, mais il était connu de tous ceux qui qui l’ont approché au sein de l’administration. Ishac n’aimait pas s’exposer sur le devant de la scène et cette discrétion était à la fois liée à une profonde modestie (liée d’ailleurs à l’importance qu’il attribuait aux autres) et au besoin d’une certaine liberté de mouvements pour agir dans un contexte soumis à des interactions complexes où les susceptibilités avaient leur part.
Mohamed Taya résume : « On ne se met pas sous les feux de la rampe, on sait que le soleil ça brûle. ». Cette discrétion a pu être perçue comme un effacement, faisant dire à Abdallahi Sidiya Ebnou : « Ishac était un fonctionnaire discipliné et sans problème, aucune casserole, il a passé toutes ses années jusqu’à 65 ans avec beaucoup de modération, de complicité avec tout le monde, manifestant toujours son désir de bien faire avec gentillesse. » mais il ajoute « même si pour apaiser les conflits, il prenait souvent sa part, par exemple, lorsque, dans les années 2001 – son dernier mandat au ministère – deux fractions d’une tribu en étaient arrivées aux fusils pour un contentieux d’une somme très importante, il a payé de sa poche. ».
Abdellahi Hormatallah, insiste sur son extraordinaire générosité : « Il donnait tout ce qu’il avait, sans même regarder ce qu’il avait déjà pu donner la veille. ». En 1970, quand il a touché sa première paye (les fonctionnaires percevaient en une seule une fois leur premier traitement à la première année) Ishac a décidé d’inviter tous ses amis et toutes ses relations professionnelles pour une grande fête chez son oncle El Alem. De manière générale, on note une volonté constante d’aider ; beaucoup de gens disent lui devoir leur orientation, leurs études, leur travail ou parfois, leur subsistance. A l’OMRG, comme au ministère, il s’investissait à fond et mettait souvent à contribution ses moyens personnels.
Importance du partage et de la disponibilité
Ishac était donc discret, réfléchi et efficace mais il avait aussi le goût de communiquer ; « Il avait la communication contagieuse » « Il était facile, ouvert, affable, je n’ai pas le moindre souvenir qu’il ait eu des problèmes avec quiconque. » « Il était toujours disponible, à n’importe quel moment, n’importe qui pouvait l’arrêter, même en voiture… » Il avait aussi assimilé les codes de la société occidentale avec une grande capacité d’adaptation mais restait attaché à l’authenticité. Attentif à tous et à leur écoute, avec une volonté constante d’aider. Ishac était l’ami de tout le monde, il était prêt à résoudre les problèmes de chacun, il donnait de l’importance aux ouvriers. Par exemple, quand il recevait une délégation avec chauffeurs, il s’assurait toujours que les chauffeurs aient à manger comme le reste de la délégation.
Disponible et attentif indépendamment des différences de statut, d’âge ou de culture : « Ici, la tradition veut que les gens âgés et les gens jeunes restent chacun de leur côté ; mais Ishac cassait ces codes et maintenait le contact et le dialogue intergénérationnel. » Une attitude tout à fait atypique dans une société encore très traditionnelle. Ainsi, ministre, il recevait sans traîner tel étudiant passionné pour l’industrie minière, ou tel industriel qui voulait lever des freins sur un projet intéressant. Résistant aux tentations liées à ses fonctions, Ishac ne s’est pas isolé dans une tour d’ivoire en accédant aux plus hautes responsabilités. « Je n’ai jamais appris que quelqu’un dise de lui quelque chose de mauvais. » « Une personnalité qui manifeste une importance aux relations avec les gens. ».
Au fil des fonctions importantes qu’il a occupées, et des projets majeurs qu’il a conduits, Ishac a été amené fréquemment à côtoyer de nouveaux collègues, à recruter de nouveaux collaborateurs. A chacune de ces occasions, il faisait la preuve de sa volonté de partager et de transmettre aussi directement que possible les connaissances et les informations qu’il détenait, dans un souci d’efficacité et de préparation de l’avenir.
Beaucoup de ceux qui en ont bénéficié ont fait par la suite de belles carrières et aujourd’hui encore ils rendent hommage à Ishac pour sa générosité, pour son accompagnement et pour l’impulsion qu’il leur a donnée.
Ishac a laissé à ceux qui l’ont fréquenté dans la cadre du tennis une image forte : « En particulier au Racing, il n’était pas le ministre mais quelqu’un qui cherchait les contacts avec tous les âges et tous les niveaux sociaux. Il a gardé des amis vingt ans plus jeunes que lui et qu’il questionnait sur tous les sujets. Ishac avait voulu pénétrer ce Club réservé aux expatriés. » « Ishac était sympathique, en contact avec tout le monde, très ouvert. » Il avait aussi la bienveillance contagieuse : « Les anciens du club, ce sont eux qui nous ont formés. » « Les anciens [le colonel Babe Mine, Ishac, Dah, le colonel Thiam (décédé) et Mouechin (directeur de l’ASCECNA )] partageaient un amour illimité du sport : on est devenu une famille, … le besoin de se voir… » « Ishac était particulièrement bienveillant et humble ; il avait toujours un regard, une parole réconfortante, une parole de père. C’était pourtant le ministre des mines… » dit Moulay Abbas (BMCI). Un autre directeur de banque, Mohamed Taya (BAMIS) a rencontré Ishac au Racing. Beaucoup plus jeune qu’Ishac, il jouait avec lui et discutait régulièrement avec lui de tous les sujets.
L’intérêt qu’Ishac portait aux autres se matérialisait souvent par des discussions et des échanges mais c’est au dialogue lui-même qu’il attribuait du prix, autant pour connaître, comprendre, découvrir et partager que pour trouver des solutions aux problèmes auxquels il était confronté. Ishac a toujours cherché à rassembler les gens et pour cela le dialogue lui semblait indispensable, et avec une multiplicité d’interlocuteurs.
Ibrahima Lamine Wane dit : « J’étais très frappé par l’étendue de ses relations. Lorsque je cherchais à obtenir des contacts pour la direction des Mines, on me répondait, systématiquement, que le Ministre était déjà passé. »
Respect de l’interlocuteur et ouverture aux autres
Chacun s’accorde pour considérer Ishac comme quelqu’un de très humain, particulièrement respectueux des autres, aimé, respecté, apprécié pour son style d’ouverture aux autres : il abordait tout le monde sur un plan d’égalité. Tous, toujours, étaient au même niveau. Pour lui, tout homme, dans le cadre de son travail normal, peut apporter des choses déterminantes pour l’avenir de son pays « Quand quelqu’un lui parlait de quelqu’un d’autre, il l’arrêtait tout de suite et essayait d’organiser une rencontre à trois. Mais quand vous aviez mieux à proposer que lui il l’acceptait immédiatement. ».
Toujours conduit par la recherche de solutions, il garde toujours à l’esprit la nécessité de ne blesser personne. Abdallahi Sidiya Ebnou considère qu’Ishac « a toujours cherché à régler les problèmes, il a toujours dit ce qu’il ce qu’il avait à dire en évitant de fâcher quiconque. ».
Jean Collardey, responsable de l’équipement technique de la MIFERMA avant la nationalisation et dont Ishac était l’interlocuteur représentant le ministère de l’industrie pour les questions de santé et de sécurité, a été frappé par le fait que ces questions lui tenaient beaucoup à cœur et qu’il défendait le point de vue mauritanien avec énergie dans leurs négociations tout en restant parfaitement calme et acceptant le dialogue pour approfondir les analyses et rapprocher les points de vue.
Franc, honnête, simple, admettant qu’il pouvait avoir tort, ne gardant aucune rancune et s’il se fâchait, ce n’était jamais pour plus d’une fraction de seconde. « Il parlait toujours en face. Il n’attendait pas que vous soyez parti. » « Quand je me plaignais de quelqu’un, il répondait qu’il fallait l’écouter et que, s’il avait tort, il reviendrait à la raison. ». Ishac ne se mettait jamais en colère. Il laissait l’autre se rendre compte et changer d’avis et il recommandait à ses collaborateurs de ne pas se fâcher avec leurs interlocuteurs mais de les laisser se rendre compte qu’ils étaient dans l’erreur.
C’était un homme de consensus ; il avait comme objectif de rapprocher les points de vue et souvent les gens avaient besoin de lui pour trouver un consensus quand il y avait des clans « Ishac était au-dessus des clans. Il avait une approche très saine des gens. ». Ousmane Kane se souvient : « En 1989, la société mauritanienne était au bord de la guerre civile. Ishac sera l’un des rares responsables de la communauté maure à aller dire au Président Maaouyia que le traitement réservé aux Mauritaniens d'origine africaine n’était pas acceptable. Bien sûr, de nombreux maures partageaient cette position, mais très peu l’ont fait. » Il veille cependant en général à afficher une stricte neutralité politique, évitant de s’engager dans des luttes partisanes quitte à rester en retrait sur certaines tensions de la population mauritanienne.
Tout ce qui ressort des témoignages que nous avons pu recueillir met en lumière l’intérêt porté aux autres comme un des soucis les plus constants et les plus importants d’Ishac. Il était préoccupé de ce que ceux qui l’entouraient comme ceux qu’il rencontrait, soient entendus, valorisés et, si nécessaire, aidés, indépendamment de tout statut social, ethnique ou d’âge. Ce souci des autres et cette égalité de considération, qui n’étaient pas la norme, semblent un des fondements essentiels de la morale qu’il s’est employé à faire valoir de bien des manières, que ce soit en agissant pour ouvrir le Racing aux Mauritaniens, en recevant longuement un lycéen qui devait préparer un exposé sur le sous-sol mauritanien, en traitant des ouvriers à égalité avec des cadres, en répondant à N’Gaide Lamine Kayou qui venait de lui annoncer qu’Ishac lui succédait au Ministère des Mines : « Et toi ? » ou, dans ses derniers jours sur son lit d’hôpital, s’inquiétant d’une chamelle perdue ou s’informant de la réponse donnée à un jeune homme qui cherchait un emploi.
Non conformisme
C’était quelqu’un d’épanoui, une boule d’énergie, quelqu’un de déroutant. Ishac avait des contacts suivis avec beaucoup de gens très divers et beaucoup de gens jeunes, sans considération d’origine (village, tribu…) ou de situation sociale. Ces relations intergénérationnelles sont un comportement atypique dans la tradition mauritanienne. Ishac considérait les personnes pour ce qu’elles étaient.
Sans souci des habitudes et des protocoles, il organise son action en fonction de ce qu’il considère comme nécessaire pour faire avancer les choses. Mohamed Saleck Heyine se souvient : « Quand j’étais directeur à Zouerate, il m’a embarqué dans le désert pendant trois jours. » et de conclure « Ce Monsieur n’était pas classable. ». D’ailleurs, l’un de ses cousins confie un jour à l’un de ses camarades de promotion qu’Ishac était un souci pour la famille car il avait toujours des excuses pour reporter les décisions importantes qu’il n’avait pas encore mûrement réfléchies.
Peu sensible au prestige du titre et de la fonction, il accepte de bonne grâce les vicissitudes d’une carrière dans l’administration. Ainsi, dans les années 80, Ishac est nommé au contrôle administratif des Mines (après avoir été directeur des Mines et ministre de l’Industrie et des Mines). Alors que cet emploi n’a rien d’enthousiasmant, qu’il n’a plus ni secrétaire ni même un bureau où poser ses affaires, il accepte sans se plaindre son nouvel emploi : « La nomination ce n’est pas un droit ». Et quand il n’a vraiment plus de travail, il continue à venir au bureau aux heures habituelles et consacre ses heures à la lecture du Coran et des livres d’histoire qu’il affectionne particulièrement. Ishac était parfois appelé le « Philosophe » car il réfléchissait rapidement et avec une largeur de vue déconcertante. « Vous n’aviez pas encore entièrement exprimé votre idée qu’il passait à autre chose. » dit Ibrahima Lamine Wane.
Certains se souviennent d’Ishac, « jouant le griot » avec sa “guitare” (sac contenant sa raquette) et sa “bouteille” (boite de balles). Celui qu’on appelait respectueusement et affectueusement « le doyen » a souvent étonné ses proches non seulement par des traits de caractère qui le plaçaient hors du commun mais aussi par des comportements inattendus dans la vie quotidienne comme en témoignent quelques anecdotes.
- En partant à Tenwich, dans la voiture, Mariem demande à Ishac de prendre le pain. Ishac lui répond qu’il n’a pas d’argent sur lui. On trouvera une solution : en s’arrêtant au feu rouge, Ishac aperçoit son cireur de chaussures et lui demande de lui emprunter de quoi acheter le pain ; ce dernier lui ouvrira son porte monnaie : « Avec plaisir, Monsieur le ministre, prenez tout. » Ishac ne prendra que 300 ouguiyas, le prix du pain.
- De 1987 à 1989, Ishac était directeur de la société des Mines de l’Inchiri. Il occupait l’immense maison construite pour le directeur de la SOMIMA. Il est arrivé une vingtaine de jours à l’avance avec Mohamed qui ne devait pas manquer l’école et Ishac avait fait remplir la piscine de sable car « mes enfants sont turbulents et ils vont se tuer dans la piscine. ».
- En septembre 2001, le roi du Maroc, Mohamed VI est reçu en visite officielle à Nouakchott. Ishac fait partie de la délégation. Mariem est à Paris (Naissance de la petite Mariem, fille de Memmah). Le premier jour de la visite, vers 19 heures, au milieu du cortège officiel, Ishac se souvient que la Présidence organise à 20 heures une soirée avec le Roi, soirée que chacun prépare de longue date. Il n’a pas de boubou pour la cérémonie.
Utilisant son téléphone portable, il appelle Mariem qui, depuis Paris ne peut pas faire grand-chose. Qu’à cela ne tienne, Ishac repère son fils Ahmed qui se trouve au bord du cortège. Il lui confie le téléphone ministériel pour qu’il poursuive la conversation avec Mariem qui le guide jusqu’à un boutiquier, qui lui remet l’un de ses plus beaux boubous. Félicité par ses amis pour la qualité de son boubou, Ishac soulignera qu’il a été « commandé depuis Paris. »